Du merveilleux en toutes lettres selon Miguel Bonnefoy (vendredi, 10 novembre 2017)
Et de deux ! Après Cyril Dion, c’est avec une certaine fébrilité que nos élèves de seconde, option “Littérature et Société”, attendaient mercredi 18 octobre dernier l’arrivée de Miguel Bonnefoy, invité d’honneur de la librairie charliendine du “Carnet à Spirales”. L’auteur figure parmi les trois nominés du prix littéraire Nostra Damus qu’organise l’établissement cette année, pour la publication de son roman Sucre Noir, unanimement salué par la critique en cette rentrée littéraire.
Le jeune écrivain, dont l’oeuvre déjà prolixe a recueilli quelques récompenses d’envergure - notamment le Prix littéraire de la Vocation 2015 pour son Voyage d’Octavio, n’a cette fois encore pas démérité, tenant en haleine son auditoire durant plus d’une heure au fil d’une explication de texte animée et théâtrale, à l’image de Sucre Noir, incessant bouillonnement de vie aux teintes chatoyantes, à rebours du titre de l’ouvrage.
Un chatoiement que l’on retrouve jusque dans sa narration, le roman s’articulant autour de la famille Otero, propriétaire d’une plantation de canne à sucre - et de la distillerie qui l’accompagne - dans les Caraïbes, un contexte à l’exotisme suranné renforcé par une légende locale, celle d’un butin qu’aurait égaré un corsaire échoué quelques trois cents ans auparavant, poussant aventuriers et explorateurs de tous horizons à quadriller les environs de la ferme, entretenant les rêves d’évasion de la fille de la maison.
Miguel Bonnefoy déploie alors des trésors d’ingéniosité lexicale afin de dépeindre l’univers et les aspirations de cette jeune femme fantasque, héritière d’une affaire familiale prospère qui pourtant ne l’enchante guère : les mots, parfois à contre-emploi, ne se contentent plus d’habiller le réel ; ils en révèlent le merveilleux, le transfigurent. Derrière le roman s’égrène le conte, mi-philosophique, mi-esthétique, filigrane d’un “réalisme magique” cher aux écrivains sud-américains dont l’auteur, vénézuélien, se fait là le digne héritier.
Pas seulement cependant, lui-même le confessant : cette réalité sublimée doit aussi beaucoup aux surréalistes occidentaux - Breton et Gide en tête, de la même façon qu’on ne saurait réduire ses personnages à ses seules origines latines. Parce qu’il consacre des figures féminines de poigne, l’on constate l’influence revendiquée des françaises Bovary et autres Nana, une volonté assumée de tordre le cou aux clichés de ces Vénézuéliennes stéréotypées, réduites à leur seule sensualité exacerbée que fantasme l’imaginaire collectif.
Sucre Noir, oeuvre charnière, s’inscrit ainsi au carrefour des mondes et des cultures, de la même façon que son écrivain, un pied à Paris, l’autre à Caracas, jongle entre ses multiples identités l’oeil pétillant, inlassable jeu de piste dont l’on ressort enchanté, avec l’étrange impression d’avoir finalement retrouvé contre vents et marées, ce trésor ambré pour lequel vibrent les flibustiers du roman : notre âme d’enfant.
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