MEME EN VACANCES, ON SE CULTIVE A NOTRE-DAME (samedi, 20 octobre 2018)
Alors que venait juste de sonner l'heure des vacances, ce vendredi dix-neuf octobre, les élèves des classes de Première du Lycée Notre-Dame ont eu la chance d'assister à la Comédie de Saint-Etienne au spectacle Thyeste, qui avait ouvert le festival d'Avignon cet été. C'est dire la qualité de la prestation !
La pièce de Sénèque, mise en scène par Thomas Jolly dans la traduction de Florence Dupont - bien connue de tous les latinistes de France et de Navarre pour avoir renouvelé l'approche du théâtre romain en général, et de celui de Sénèque en particulier -, offre un drame familial, issu de la mythologie : Atrée fait manger à son frère Thyeste ses fils mijotés en ragoût.. Dans la pure tradition de ce que Artaud nommera plus tard le théâtre de la cruauté, s'affrontent les membres de cette famille maudite suite au geste de l'ancêtre Tantale, condamné aux tourments éternels de la soif pour avoir offert aux dieux, en un banquet sacrilège, Pélops son fils. Ce fut le début d'une série de meurtres, de luttes fratricides, d'incestes et de violences en tout genre ! Cette famille illustre à merveille le tragique tel que le concevait l'Antiquité.
L'infanticide y est donc l'un des thèmes majeurs, qui d'ailleurs s'inscrit dans la lignée récurrente de sacrifices de la chair de sa chair propre à la sphère indo-européenne. Mais il s'agit aussi de traiter de la relation au pouvoir, à L'Autre, dans un questionnement sur l'Homme, sur ce qui fonde l'humanité et les relations inter-individuelles. La violence est omniprésente : violence des corps tout d'abord, qui se contorsionnent sous l'effet d'un douleur qu'ils ne peuvent supporter ; violence du Verbe, avec un vers latin superbement traduit par la fille de Pierre Grimal, qui sait rendre au texte toute sa force et sa liberté ; violence enfin de cette force tragique de la vengeance qui semble s'acharner sur les hommes et les pousser à commettre les pires erreurs... les pires horreurs ! Car, comme l'a fort bien fait remarquer la traductrice, le dolor laisse place au furor [la douleur le cède à la folie], dans cette espèce de danse effrénée, macabre, encore renforcée par le slam du choeur.
Thomas Jolly, habitué à orchestrer la violence puisqu'il a adapté Shakespeare et également mis en scène des opéras, a su donner corps et voix au texte de Sénèque. En habitué des tragédies du pouvoir, de la famille, il est parvenu à insuffler à la pièce la fulgurance qu'elle requérait, puisque nous redécouvrons, depuis quelques années, le théâtre de Sénèque, en même temps que fleurissent de nouvelles thèses sur la définition du tragique, loin du Sturm und Drang [tempête et passion] de Goethe. En effet, les nouvelles théories montrent que le tragique ne va pas forcément de pair avec la notion de destin ; c'est le public qui croit voir sa griffe là où il peut n'y avoir qu'un hasard, ou une succession de causalités issues du hasard... Et Thomas Jolly est parvenu à illustrer cette vision moderne, tout en la conjuguant aux théories de Florence Dupont sur la parenté avec le théâtre Nô japonais. Il a réussi par la même occasion la prouesse d'adapter à une scène fermée ce qui avait été conçu pour la Cour d'Honneur du Palais des Papes ! Bravo à ce jeune metteur en scène plein de talent !
Les élèves, bousculés par ce théâtre de la dévoration, pourront à loisir méditer pendant leur quinze jours de congés, avant d'analyser à la rentrée toutes les pépites que recelait ce spectacle...
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